Le 9 novembre dernier, Françoise Petrovitch s’est exprimée autour d’une table ronde organisée par la BNF dans le cadre de l’exposition « Derrière les paupières » qui lui est consacrée. Michel Nuridsany (auteur) et Cécile Pocheau-Lesteven (commissaire de l’exposition) l’accompagnaient dans ce dialogue. Talivera s’y est rendu.
Françoise Petrovitch est une artiste très attachante, humble, drôle, à la créativité pleine de liberté, curieuse de nouvelles techniques et créatrice d’une œuvre protéiforme et poétique.
Pour entrer dans l’univers de cette artiste contemporaine, Talivera vous propose de vous pencher sur quelques œuvres présentées pendant la table ronde, sur le rapport de l’artiste aux techniques qu’elle exploite et sur son geste artistique, empreint de rapidité et de liberté.
« Radio Petrovitch » : écouter le monde et lui répondre
Françoise Petrovitch a une grande attirance pour les livres, pour l’imprimé et pour l’écrit. Une œuvre picturale est saisissable dans l’instant, tandis qu’une œuvre écrite se déroule dans le temps : avec le projet « Radio Petrovitch », elle a voulu se frotter à cette question du temps long. Ainsi, le projet se déroule sur deux ans, entre 2000 et 2002 : tous les matins, Françoise Petrovitch allumait France Inter et faisait un dessin immédiat illustrant une nouvelle qu’elle y entendait. Plus tard dans l’après-midi, elle faisait un nouveau dessin, celui-ci plutôt en lien avec sa vie intime, sa famille, ses proches. Entre ces deux dessins se rencontrent le collectif et l’intime : à la manière d’Annie Ernaux dans Les Années, Françoise Petrovitch monte un projet de mémoire collective et intime, de soi et des autres. En travaillant, elle écoutait beaucoup la radio, elle écoutait le monde : dessiner a été pour elle une façon de répondre, de fixer une réaction. Dans son œuvre, Françoise Petrovitch travaille l’intime et le psychologique, mais elle traverse la vie collective avec tout le monde et fixe cette traversée par le dessin.
« C’est assez agréable de décaler les choses,
Françoise Petrovitch
d’aider le réel à s’alléger. »
Dialoguer pour mieux créer
Les projets J’ai travaillé mon comptant et Tenir sont tous deux nés de dialogues : pour l’un, avec des personnes âgées, pour l’autre, avec des personnes défavorisées. Le premier est un livre d’artiste sur le thème du travail que Françoise Petrovitch a créé en se rendant en maison de retraite et en transformant la salle de thé en atelier : pour parler du travail, elle voulu discuter avec celles et ceux qui ne travaillaient plus. Elle les a interrogés sur leur souvenir de leur première embauche. Le livre est un recueil de témoignages des personnes interrogées illustrés par ses dessins à l’encre. L’artiste n’a pas voulu faire de portraits, elle a voulu illustrer leurs métiers, leurs souvenirs. Fait amusant : aucun témoignage n’évoque la question de l’argent, mais plutôt celle de l’accomplissement, du service rendu pour la vie, du bon compte. Le titre du livre est une phrase entendue au cours des échanges avec les personnes âgées : « J’ai travaillé mon comptant » évoque une fin bien menée, ce qu’il fallait de travail jusqu’à la fin du décompte.
Pour le projet Tenir au Louvre Lens en 2018, Françoise Petrovitch a dialogué avec un collectif d’associations et des personnes défavorisées vivant dans la région : celles-ci ont eu l’occasion de visiter l’atelier de l’artiste et d’inspirer la construction du projet et son titre, Tenir, continuer, s’accrocher, tenir bon. Cela a donné lieu à la première sculpture pérenne exposée dans les jardins du Louvre Lens et à une exposition d’une trentaine de dessins dont la plupart ont été créés pour le projet. La sculpture est une jeune femme tenant un animal à l’envers, un lapin en peluche, en le serrant doucement contre sa poitrine. Elle évoque une force tranquille et rend hommage à celles et ceux qui luttent contre la misère. Françoise Petrovitch a souhaité placer la sculpture près du bois, là où les gens piquent-niquent, qu’elle soit tournée vers les gens et non vers le musée, car elle leur est destinée : c’est une sculpture citoyenne qui a été commandée par la communauté associative et financée publiquement. Les personnes ont d’ailleurs été formées à la préservation et à la médiation de la sculpture par le Louvre Lens.
Lors de ces deux interventions, Françoise Petrovitch a fondé sa créativité sur l’échange avec les personnes pour mener à bien des projets artistiques pérennes et pleins de poésie.
La liberté du dessin
Le dessin est au cœur du travail de Françoise Petrovitch : « J’aime dans le dessin sa liberté et sa rapidité, cette énergie immédiate que j’essaie de retenir ». En effet, le dessin n’est pas soumis à une technicité envahissante, au contraire de la lithographie par exemple : le dessin nécessite un geste quand les techniques de gravure exigent du temps et des outils. Françoise Petrovitch chérit la rapidité du dessin, elle travaille très vite et sans repentir, du moins elle essaye, dit-elle. L’artiste accorde une grande importance aux sons et à la gestuelle qui accompagnent le dessin et qui le constituent. Elle est proche du milieu de la danse et a collaboré sur des spectacles en plaçant ses œuvres au milieu des danseurs et en les faisant dialoguer. Le spectacle Adolescent (2019) joue avec les œuvres de Petrovitch et les danseurs en créant des effets de reflets, de doubles, car les danseurs ressemblent étrangement aux figures dessinées par l’artiste. Dessins et danse consacrent ici deux gestes artistiques, un geste immédiat qui fixe une forme sur le papier, et un geste immédiat qui ne se fixera jamais, éphémère.
La soif de faire
« La gravure me ralentit, c’est un art plus lent, par étape, qui oblige à ralentir. C’est un peu difficile pour moi mais j’aime assez. » Françoise Petrovitch, bien que chérissant le geste rapide du dessin, travaille aussi la gravure. Elle est d’ailleurs professeure de gravure à l’école Estienne. Elle a aussi voulu apprendre la céramique et travaille désormais avec Sèvres, car Françoise Petrovitch aime varier les techniques pour toujours relancer le processus créatif d’une autre façon. Et cela lui permet d’être débutante, ce qu’elle apprécie beaucoup, car c’est là que l’on progresse le plus et que c’est le meilleur. Elle ne délègue rien, veut tout savoir faire elle même : elle tient à créer dans le possible de son être, sans la machine, préserver l’humanité dans l’œuvre. « À notre époque, c’est presque une résistance politique, de faire », dit-elle. En céramique ou en dessin, en bronze ou en gravure, Françoise Petrovitch veut comprendre et faire. Elle n’a pas non plus peur de changer de formats : elle est aussi virtuose sur un tout petit format que sur un format de 17 mètres par 8 mètres, l’équivalent d’un plateau de théâtre. En effet, elle a fait des décors de théâtre et a dû travaillé dans l’œuvre, dans la toile et dans l’encre, se servir de seaux… Elle a une grande liberté d’échelle et pense qu’il n’y a aucun risque à changer de format, ne comprend pas ceux qui en ont peur, « le seul risque qu’on a serait de rater, ce qui n’est pas grave ».
Françoise Petrovitch cultive une grande aisance dans la technique, dans l’échelle et dans le travail physique de la création. Son œuvre multiple, ambivalente, pleine de gravité et d’humour, est très intéressante et entendre cette artiste parler de son travail fut passionnant.
L’exposition « Derrière les paupières » se déroule à la BNF jusqu’au 29 janvier 2023 – Quai François Mauriaux dans le XIIIe arrondissement de Paris.
L’artiste prépare également une exposition au Musée de la vie romantique pour l’année prochaine.
Cléo Ragasol