Bien que l’artiste baroque, Artemisia Gentileschi se soit éteinte il y a plus de 300 ans et fut oubliée pendant de trop longues années, son histoire nous apparaît toujours d’actualité. A partir des années 70, sa visibilité va redevenir croissante grâce à un collectif féministe italien qui sortira son prénom de l’oubli. Malgré un vécu douloureux, Artemisia Gentileschi inspirera jusqu’à nos jours une admiration pour sa personnalité et ses œuvres transgressives. De nos jours, elle fascine également pour avoir gagné un procès contre le peintre Agostino Tassi, accusé d’abus sexuel sur elle alors qu’elle n’avait que 17 ans.
Deux toiles retrouvées à Beyrouth en 2020
Mardi 4 Août 2020, est une journée sombre marquée par deux violentes explosions à Beyrouth (Liban). Le bilan humain est lourd et douloureux. En plein dans la capitale, ces explosions causeront de nombreux dégâts matériels, parmi eux des toiles du Musée Sursock seront détruites et d’autres seront endommagées. C’est de là que deux œuvres baroques, rappelant le style pictural du Caravage sont redécouvertes. Madeleine Pénitente et Hercule et Omphale sont deux toiles du XVIIe siècles qui seront attribués à Artemisia Gentileschi. Achetées à Naples dans les années 20 et ayant voyagées jusqu’au Liban, ces deux œuvres méconnues ont été longtemps anonymement exposées au Palais du Musée Sursock.
Hercule et Omphale ainsi que Madeleine Pénitente frappent pour leur forte référence au peintre italien, Le Caravage. Au cours de sa vie d’artiste, Artemisia Gentileschi se revendique un rattachement à l’école du Caravage. A travers ses 21 œuvres qui représentent des femmes dans des mises-en-scènes crues, elle y raconte régulièrement des scènes bibliques ou dites profanes. Dans ses nombreuses toiles, Gentileschi reprend les toiles du Caravage et approfondit davantage le caractère opiniâtre et la vivacité des femmes qui apparaissent moins fragiles, délicates, que celles du Caravage.
Depuis quelques années, Artemisia Gentileschi est remise en lumière. Dernièrement, en Décembre 2020, a eu lieu une grande exposition à son honneur au National Gallery à Londres.
« J’ai bien peur qu’avant d’avoir vu le tableau vous ne m’ayez trouvée arrogante et présomptueuse […] Vous me trouvez pitoyable car avant même de poser les yeux sur son travail, le nom d’une femme soulève des doutes. » Artemisia Gentileschi
Le pouvoir : des figures de femmes intemporelles
Survivante et gagnante d’un long procès humiliant et diffamant où Artemisia Gentileschi due subir des tortures pour avoir intentée un procès contre son précepteur privé Agostino Tassi. Les œuvres baroques d’Artemisia Gentileschi sont habitées par ce traumatisme. Néanmoins, dans ses œuvres ce sont les figures féminines qui, cette fois-ci, sont en position de force. En témoignent ses toiles issues de scènes bibliques : Judith décapitant Holopherne ou Yaël et Siséra.
Les deux toiles ont en commun de représenter l’assassinat par une femme d’une figure masculine imposante. Dans Judith décapitant Holopherne, une peinture de jeunesse de la peintre, Artemisia Gentileschi est à la fois peintre et modèle. Elle y interprète en effet Judith qui décapite le menaçant Holopherne, un général ennemi dans l’Ancien Testament. Le geste de Judith est ferme et déterminé, comme dans les œuvres du Caravage, Artemisia dépeint la réalité crue. La seule différence ici, avec le peintre baroque dont elle se réclame, il n’y a pas d’hésitation dans l’acte vengeur de Judith. La peintre italienne dépeint une femme vengeresse dont l’acte s’inscrit dans une nécessité de vaincre l’adversité. Finalement, c’est bien des femmes courageuses que met en valeur Artemisia Gentileschi. Elle-même dotée d’une forte personnalité, c’est également sa nature forte qu’elle valorise dans ces toiles où elle se met également en scène dans le rôle de Judith notamment. Défiant toutes conventions, Gentileschi peint des sujets pourtant réservés aux hommes et fait de ses figures féminines des personnages en action.
Un regard neuf loin des conventions
Elle leur apporte également des sentiments forts, que ce soit vengeur ou d’extase avec Sainte Marie Madeleine en extase (1611 ou 1613-1620) où le bien-être d’un extase religieux se confond avec l’érotisme. Dans Yaël et Siséra, la violence nécessaire de Yaël envers Siséra décrit davantage l’intériorité du personnage féminin. Contrairement à de nombreux peintres représentant cette scène, Artemisia Gentileschi fait le choix de mettre en avant l’introspection de cette femme sur l’acte qu’elle est sur le point de commettre afin de réaliser la prophétie d’une prophétesse.
En proposant un regard neuf sur ces femmes, la peintre se démarque une nouvelle fois et accorde à ces figures féminines de la profondeur, mais aussi plus de réalisme dans leurs affectes.
🎨 A droite : Artemisia Gentileschi / Judith décapitant Holopherne / Huile sur toile / 1614-1620 / Musée de Capodimonte
🎭 La place des femmes sur la scène artistique
Alors devenue épouse et mère de 4 enfants, elle profite en parallèle d’un succès grandissant dans la Rome de la Renaissance. Jouissant également d’un réseau relationnel solide, elle poursuivra ses autoportraits dans ses mises-en-scènes picturales grâce notamment aux commandes qu’on lui fait. Enfin, Artemisia Gentileschi bénéficiera d’une admission à l’académie de dessin, ce dont elle n’eut le privilège par le passé en tant que femme… Cette carrière prestigieuse lui vaut de pouvoir rivaliser avec ses collègues masculins. Faisant d’elle la première grande femme peintre. Néanmoins, la peintre reste pragmatique face à son époque puisqu’elle a conscience de l’importance accordée à son sexe et non à ses oeuvres. En effet, la place des peintres femmes dans la peinture de la Renaissance reste ardu, alors même que des noms se démarquent parmi elles, tels que : Virginia Vezzi, Lavinia Fontana ou Sofonisba Anguissola…
🎥 Les figures féminines d’Artemisia Gentileschi, ainsi qu’elle-même, traversent les siècles et elles ressurgissent à notre époque où les questions liées aux femmes sont plus que jamais d’actualité. L’œuvre de l’artiste dépassant son époque, en 2021 une série télévisée prévue par la filiale Viacom CBS serait en cours d’écriture. La productrice Frida Torresblanco qui serait en charge de cette production a déclaré au sujet de la peintre :
« Il existe un lien fort avec ce genre de femme jeune et courageuse qui peut surmonter les abus et en faire un héritage de génie. Ce sera une pièce féministe contemporaine à la fois provocante et transgressive, invoquant l’esprit de notre moment présent de manière éloquente et élégante. » Frida Torresblanco
N’oublions pas qu’en 1997, l’artiste avait déjà bénéficié d’une adaptation de sa vie au cinéma avec le film Artemisia de la réalisatrice Agnès Merlet.
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Débora Dooh
Artemisia, Agnès Merlet, 1997