Le musée Picasso accueille la première rétrospective en France autour de l’œuvre de l’artiste féministe noire-américaine Faith Ringgold : artiste engagée pour les droits des femmes et dans les luttes anti-racistes, autrice de contes pour enfants, elle a produit une œuvre protéiforme et passionnante, à la fois politique et poétique.
La question était simplement de savoir comment être noir en Amérique. Il n’y avait aucun moyen d’échapper à ce qui se passait [dans les années 1960] : il fallait prendre position d’une manière ou d’une autre, car il n’était pas possible d’ignorer la situation : tout était soit noir, soit blanc, et de manière tranchée.
Lumière noire : Black Light et Black Power
La peinture de Faith Ringgold s’ancre d’emblée dans la représentation de la beauté noire à travers des portraits et des choix esthétiques rappelant les motifs africains. Si tout est « soit noir, soit blanc » elle prend position et met les Noirs en valeur.
(…) je voulais m’engager désormais dans la « lumière noire », dans des nuances chromatiques subtiles et dans des compositions basées sur mon intérêt nouveau pour les rythmes et les motifs africains.
Combien de couleurs dans l’arc-en-ciel ? Combien de gens dans le monde ? Mais d’où viennent toutes les couleurs ? D’une seule source. La lumière. D’où viennent tous les gens ? D’une seule source. La vérité. Qu’on se le dise.
La série « Black light » met en lumière la beauté noire nouvellement reconnue : les cheveux afro, les couleurs chaudes, l’amour, la douceur sont représentées dans ces toiles. Parallèlement à cet engagement esthétique, l’artiste travaille au sein du mouvement du Black Power en créant des affiches politiques : détournements du drapeau américain (qui lui ont valu une condamnation pour profanation), affiches pour la libération d’Angela Davis et pour les droits des femmes, ou encore une carte des États-Unis aux couleurs du drapeau panafricain détaillant les lieux et dates de tous les événements violents ayant marqué le pays depuis sa fondation. Elle précise que cette carte des violences américaines n’est pas complète, et que chacun peut la prolonger.
Témoigner du racisme et des violences, s’engager
La série « American People » expose les rapports de force et les rapports racistes qui existent au sein de la société américaine. Faith Ringgold dresse une critique acerbe de l’American Way of Life qui suit les luttes contre la ségrégation à travers de grandes toiles. De nombreux soulèvements ont été durement réprimés, témoignant d’une situation politique et sociale violente que Faith Ringgold illustre dans ses toiles : elle met en évidence les violences raciales qui traversent la société américaine, elle veut nous forcer à les voir, elle ne veut pas que l’on puisse regarder ailleurs.
Je ne voulais pas que les gens puissent regarder et détourner le regard, parce que beaucoup de gens font ça avec l’art. Je veux qu’ils regardent et voient. Je veux agripper leurs yeux et les maintenir ouverts, parce que c’est ça, l’Amérique.
La toile U.S Postage Stamp Commemorating the Advent of Black Power qui commémore l’avènement du Black Power, montre les visages des Blancs, le « White Power » qui structure la toile, traversé par une ligne de visages noirs, traçant une croix qui barre la composition avec les mots « Black Power ». La toile Die représente une scène d’une grande violence : des personnes blanches et noires, femmes et hommes, s’entretuent, leurs yeux sont pleins d’effroi, les mouvements sont chaotiques, pourtant ils se ressemblent, portent les mêmes vêtements. Une petite fille noire et un petit garçon blanc se serrent l’un contre l’autre, appelant le spectateur à témoin : ils nous regardent.
L’autofiction, le texte et l’image : se raconter, se rêver
Faith Ringgold crée des séries picturales alliant textes et images sur tissu. Elle découvre et réinvente la pratique du quilt : des empiècements de tissus que l’on trouvait dans les foyers africains-américains et que les femmes cousaient ensemble en discutant et en se racontant des histoires. L’artiste utilise donc cette technique en la chargeant de narrations picturales et textuelles, s’inscrivant ainsi dans la tradition du récit. Ses quilts sont composés d’une peinture centrale et d’un texte dense formant une bordure. Elle invente un personnage, son alter ego Willia Marie Simone, une jeune artiste africaine-américaine cherchant sa voie dans la bohème artistique parisienne des années 1920 : c’est la série « French Collection ».
Avec « The French Collection », je voulais montrer qu’il y avait des Noirs à l’époque de Picasso, de Monet et de Matisse, montrer que l’art africain et les Noirs avaient leur place dans cette histoire.
La série « French Collection » illustre le parcours du personnage, ses rencontres amoureuses et artistiques, exposant les influences de Faith Ringgold en liant les époques et les générations de façon fantaisiste : elle pose pour Picasso devant les Demoiselles d’Avignon (dont les visages ont d’ailleurs été inspirés de masques africains), elle rencontre Matisse, Van Gogh, Gertrude Stein et Toulouse-Lautrec au « Café des artistes ». Elle réécrit l’histoire en interrogeant la place des Noirs dans l’art et dans la bohème, celle de l’art africain dans la modernité artistique, celle, enfin, des femmes.
Faith Ringgold a aujourd’hui 92 ans. Son œuvre radicale et engagée, son renouvellement esthétique font d’elle une artiste très inspirante. Par l’image et le récit, elle parvient à sensibiliser à plusieurs causes avec une justesse féroce et sans compromis. L’exposition est à découvrir au musée Picasso jusqu’au 2 juillet 2023, avec Talivera.
Cléo Ragasol
Image de mise en avant : Black Light Serie #9 : The American Spectrum, 1969
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