La nouvelle exposition du musée des Arts décoratifs nous propose une vaste plongée dans les années 80 françaises à travers la mode, le design et le graphisme, un voyage au tournant d’une nouvelle ère politique et culturelle, un design et une mode qui se réinventent et la naissance de la société de l’image.
Les années 80 : l’entrée dans une nouvelle ère
L’exposition s’ouvre sur l’affiche de campagne de François Mitterrand, élu président de la République en 1981 : c’est une élection historique qui fait accéder la gauche au pouvoir pour la première fois dans la Ve République et marque un grand tournant politique et culturel. Son affiche de campagne « La force tranquille » signée Jacques Ségala ouvre la nouvelle ère de communication visuelle en politique. François Mitterrand engage de grands travaux dès son premier septennat, désireux de réconcilier culture et urbanité : le musée d’Orsay, la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette, l’Institut du monde arabe – initiés par Valéry Giscard d’Estaing – la pyramide du Louvre, l’Opéra Bastille, l’Arche de la Défense et la Bibliothèque nationale de France. Ces lieux culturels renouvellent le tissu urbain parisien et dynamisent la culture. Pour promouvoir la création contemporaine, François Mitterrand mobilise des designers pour décorer les appartements privés de l’Élysée : Marc Held, Ronald Cecil Sportes, Philippe Stark, Annie Tribel et Jean-Michel Wilmotte. Une pluralité de styles cohabitent ainsi au sein des appartements présidentiels.
Avec le ministre Jack Lang à la Culture, la politique culturelle connaît une impulsion sans précédent. Des événements sont créés : le Grand Prix national de la poésie, la Fête de la musique, les Journées portes ouvertes des monuments historiques, la Fête du cinéma, la Fureur de lire… Le ministère soutient des initiatives privées et associatives en matière de photographie, de design et de mode et tend la main aux créateurs contemporains.
Les années 80 amorcent l’ère de la communication visuelle globale. Avec la libéralisation des médias et de l’audiovisuel, le film publicitaire connaît son âge d’or et les agences de publicités conquièrent un nouveau terrain d’action : c’est le début de la publicité-spectacle. Les affiches de publicités se renouvellent : on abandonne le dessin pour la photographie, on crée des slogans concis et ludiques propres à être retenus par les potentiels acheteurs. Au cours des années 80, la publicité tient une place essentielle au sein de la pop-culture. En parallèle des agences de publicité et de marketing, des ateliers de graphistes indépendants – nés dans le sillage des révoltes de Mai 68 – revendiquent un graphisme d’utilité publique : ils s’adressent aux citoyens quand les publicitaires s’adressent aux consommateurs. Leurs commanditaires sont des partis politiques, des syndicats, des institutions dont ils partagent les vues. Le gouvernement est favorable aux graphistes et le plan de relance « Graphisme et Typographie » vise à favoriser les commandes publiques et montre la volonté de l’État de considérer le graphisme comme une discipline à part entière des arts plastiques.
La joyeuse extravagance du design et de la mode
La nef principale du musée nous offre le spectacle de la multitude de créations et de styles en matière de design et de mode : les designs modernistes côtoient des univers primitifs, les codes de la mode sont détournés et les silhouettes revisitées. Le VIA, Valorisation de l’Innovation dans l’Ameublement, créé en 1979 par le ministère de l’Industrie, donne carte blanche à de nombreux jeunes créateurs et promeut le design français. Ce ne sont plus des écoles ou des courants qui sont mis en avant, mais des individus novateurs, comme Philippe Starck, Christian Lacroix ou Jean-Paul Gaultier. Des lieux d’avant-garde dédiés à la création contemporaine sont créés dans la dynamique du VIA, des lieux qui promeuvent les créateurs contemporains comme les galeries Perkal ou Néotù.
La dernière partie de l’exposition poursuit le parcours à travers la mode des années 80, qui se diversifie grâce à de diverses expressions individuelles. C’est une période faites d’antagonismes et de grands écarts esthétiques : certains créateurs reprennent les silhouettes historiques de l’Antiquité aux années 30, comme Thierry Mugler et Claude Montana, quand Vivienne Westwood ou Chantal Thomas les revisitent et les parodient. D’autres, plus radicaux, déconstruisent la notion même de vêtement, parent leurs mannequins de morceaux de céramiques brisées ou créent des silhouettes asymétriques. Les créateurs de mode sont désormais considérés comme des artistes. Les défilés s’exposent à un large public : dorénavant, ils ne sont plus réservés à une élite de connaisseurs au sein des maisons de couture, mais se déroulent dans les bâtiments les plus prestigieux de la capitale et sont même diffusés à la télévision. La mode se popularise : la notion de « look » naît à cette période et la production industrielle de vêtements s’intensifie. En proposant de larges gammes pour tous, hommes, femmes, enfants, le prêt-à-porter se diversifie et permet à chacun de composer son « look ».
Nuits et contre-culture : le vent de fête des années 80
Les boîtes de nuit Le Palace et les Bains Douches deviennent de hauts lieux de la fête et de l’excentricité parisienne. S’y rencontrent de grands créateurs qui forgent ensemble la culture excentrique propre aux années 80. Philippe Starck réalise le décors des Bains Douches, Gérard Garouste et David Rochline créent les décors du Palace et du Privilège, son espace V.I.P., Pierre et Gilles font le carton d’invitation de l’inauguration des Bains Douches, Karl Lagerfeld, Claude Montana et Jean-Paul Gaultier y organisent de grandes fêtes. Ces discothèques mythiques sont le symbole de la décennie. Incubateurs de nouveaux modes de vie, tout le monde peut y entrer, seul le look compte. Parallèlement au faste des nuits parisiennes, le hip-hop venu des États-Unis s’installe dans les milieux underground.
Les coups de cœur Mode, Design, Graphisme de Talivera
Cette exposition a montré les esprits et pour cause, dans la salle dédiée aux nuits parisiennes et aux discothèques, les clips et les chansons qui ont marqué l’époque sont diffusés : les Rita Mitsouko et Alain Bashung vous donneront envie d’aller danser dans les années 80. En traversant la salle dédiée au design, Talivera a aperçu un sublime petit sac rose : exposé par la galerie Yves Gastou, il est l’œuvre de l’architecte Shiro Kuramata. Yves Gastou avait demandé à plusieurs architectes de dessiner des prototypes de sac à main, des « petites architectures nomades » : celui-ci nous a tapé dans l’œil.
L’exposition « Années 80 : mode, design et graphisme en France » est à voir au musée des Arts décoratifs jusqu’au 16 avril 2023, et Talivera vous y emmène avec des visites guidées ou des conférences en ligne.
Cléo Ragasol-Barbey