Zoom artiste : Eugenio Tellez vient décrypter la guerre, chercher l’espoir, garder la mémoire

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Talivera s’intéresse aux artistes et aux cultures du monde et vous invite à découvrir l’artiste contemporain chilien Eugenio Tellez à la Maison de l’Amérique latine : nous avons été l’écouter parler de son œuvre dans l’exposition « L’ombre de Saturne ».
Dans le contexte mondial que nous connaissons, au lendemain de l’anniversaire de la guerre en Ukraine, Eugenio Tellez expose son idée de la guerre, « la pire peste que l’humain ait créée ».

© Edith de Ginestet

Détourner les images guerrières

Eugenio Tellez est né en 1939 au Chili et a traversé le XXe siècle, sans doute le siècle le plus guerrier et le plus convulsif que notre histoire contemporaine ait connu. L’artiste est fasciné par l’iconographie guerrière : il s’empare de ce sujet qui traverse la quasi totalité des œuvres exposées à la Maison de l’Amérique latine et qui obsède son travail. Les motifs guerriers y sont récurrents, s’y superposent et s’y enchevêtrent. L’artiste détourne cette iconographie, la tord en revisitant les images, en en créant de nouvelles. Il dit, en citant le philosophe Walter Benjamin, que l’artiste est un destructeur : il détruit le monde pour essayer de le rendre meilleur, pour le remodeler à sa manière. Lui, représente la guerre pour l’épuiser, la dénoncer, pour que l’on se souvienne et pour changer le monde.

Étant né en 1939, j’ai connu une guerre constante.

© Edith de Ginestet

Le pouvoir des mots et des images

Dans la première salle, on découvre une armurerie : ce sont des armes littéraires, car les mots peuvent être plus puissants que les armes de guerre. Chaque pistolet est construit en hommage à une figure littéraire ou philosophique : le Marquis de Sade, Trotsky, Walter Benjamin et son ange de l’Histoire… Ils sont composés d’objets et de débris récoltés au cours de ses voyages, les éclats d’un vase japonais, des petites figurines, des morceaux d’os ou de bois. Eugenio Tellez détourne les armes de guerre pour en faire des armes littéraires, compte sur la force des mots pour contrer les violences guerrières.

© Edith de Ginestet

Mon influence vient des poètes et de la littérature, pas tellement des arts visuels. […] J’aurais peut-être dû être écrivain, mais c’est facile. C’est plus difficile de penser avec des images.

De la sculpture à la lithographie en passant par le dessin, la peinture et la photographie, Eugenio Tellez multiplie les moyens d’expression. Ses toiles mêlent dessin, collage, peinture, photographie. L’artiste mélange les techniques pour mieux fouiller son sujet, pour mieux sonder son propos, pour mieux exprimer la convulsion : pour montrer la guerre, sa violence, le chaos parfois, Eugenio Tellez choisit la densité, le déchaînement des techniques sur la toile qui devient un champ de bataille artistique.

© Edith de Ginestet

Un acte de mémoire

Sans jamais faire l’apologie de la guerre, Eugenio Tellez tente de la décrypter, de l’illustrer sous tous ses angles, d’en faire un atlas exhaustif, pour l’épuiser, peut-être. Les images qu’il représente sont celles de la destruction, des armes, des explosions, des espaces envahis par le chaos des traits et des coups de pinceau, des couleurs sombres qui font mieux ressortir les touches de couleurs vives, des silhouettes malmenées, mais souvent représentées naïvement, comme un enfant qui dessinerait la guerre. Les planisphères et les cartes, présentes dans ses œuvres, apportent du contexte diplomatique et historique, nous placent dans le réel, et traduisent l’envie de l’artiste de fouiller, de comprendre, de disséquer son sujet. Les lucioles sont des motifs qui apaisent parfois les compositions, ce sont des signes de vie, seules à briller dans l’obscurité. Naïveté et désillusion semblent se croiser dans son travail : une question résonne, « pourquoi la guerre ? » Eugenio Tellez nous la pose, ou bien tente-t-il d’y répondre en créant. Une chose est sûre, son œuvre est un témoignage, un acte de mémoire qui cherche à la fois à comprendre et à fixer.

© Edith de Ginestet

Si le temps et Saturne dévorent tout, l’art, lui, a valeur d’éternité.

L’exposition est à voir à la Maison de l’Amérique latine (217, boulevard Saint-Germain) jusqu’au 22 avril 2023.

Cléo Ragasol

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